Richesse, amour et prestige. Pour beaucoup, la vie se résume à la quête de ces trois objectifs. Il semblerait que ceux-ci atteints, tout être humain puisse jouir d'une félicité à toute épreuve.

« Il semblait, murmura Anne. »

La jeune femme effectua un demi-tour sur elle-même, faisant virevolter ses longues boucles noires. Son esprit se perdit un instant dans la contemplation du manoir matrimonial. Enfant, elle rêvait d'habiter un lieu aussi luxueux. Avec son toit chocolat surmonté de tourelles victoriennes, la demeure ne manquait pas de charme. A cela s'ajoutaient les murs de pierre ocres ainsi que les quelques balcons aux fenêtres des chambres. Aujourd'hui, ces merveilles la laissaient de marbre. Ignorant le vent glacé de ce matin de février, Anne s'engouffra dans une des vastes allées encore praticables. Les arbres dénudés étaient recouverts d'une épaisse couche de neige – neige qui menaçait de retomber si l'on en croyait la couleur des nuages. Bien loin d'être découragée par la perspective de se retrouver noyée sous les flocons, se contenta de réajuster sa veste. Une multitude de sons l'envahit soudainement. D'abord, ce fut le craquement de ses pas sur l'herbe gelée. Bruit fréquent l'hiver mais dont personne ne se lassait jamais. Puis le chant d'un oiseau, suivit de la course légère et fugace d'un petit animal. Enfin, le tintement des cloches qui résonnait au loin. La douce femme était arrivée au centre du jardin. Elle s'assit doucement sur un des bancs juxtaposant le puits, comme si elle craignait de déranger la nature en éveil. Ce fut ce moment que choisit un chat tigré pour bondir de derrière les buissons et venir à sa rencontre. Anne se pencha et, tout en le caressant, se mit à parler :

« Je ne devrais pas me plaindre, je le sais bien. J'ai un travail formidable et bien payé, une maison digne de celles que l'on retrouve dans les contes, un mari aimant. C'est bien plus que ce que possède le commun des mortels. Et cela me suffisait, puisque je me disais que rien n'était encore joué. Néanmoins, depuis cet été je doute sérieusement d'obtenir ce que je désire. J'ai eu vingt-cinq ans en juillet et ni les progrès de la médecine, ni les régimes spécifiques ne semblent faire leur effet. Ce n'est pas faute d'essayer, pourtant. »

Quelques larmes, fruits de sa douleur, envahirent ses yeux. Soudainement le chat se dégagea, planta ses crocs aiguisés dans la main d'Anne, et détala aussi vite qu'il était apparu. Trois gouttes de sang vinrent tâcher le sol.

« Si je pouvais enfin avoir un enfant, pensa Anne à voix haute, je voudrais que ce soit une fille. Elle aurait la peau blanche comme la neige, les lèvres rouges comme le sang, et les cheveux noirs comme une nuit sans lune. » 

Ce vœux prit finalement forme au plus grand bonheur d'Anne et de son époux, le docteur White. Chaque matin, la jeune femme remerciait le Ciel pour sa clémence. Curieusement, la grossesse se passa sans aucune complication et ce ne fut qu'à l'aube du neuvième mois que la futur mère arrêta de travailler. Ainsi naquît Neige un soir de novembre deux mille dix, seule survivante d'un accouchement laborieux. Elle était le portrait exacte de ce qu'avait souhaité la défunte.